[LETTRE SUPPLÉMENTAIRE 7]
1
Usbek à Rica.
Je trouvai, il y a quelques jours, dans une maison de campagne où j’étois allé,
deux sçavans qui ont ici une grande célébrité. Leur caractère me parut
admirable. La conversation du premier, bien appréciée, se réduisoit à
ceci : Ce que j’ai dit est vrai, parce que je l’ai dit. La conversation du
second portoit sur autre chose : Ce que je n’ai pas dit n’est pas vrai,
parce que je ne l’ai pas dit.
J’aimois assez le premier : car qu’un homme soit opiniâtre, cela ne me fait
absolument rien ; mais qu’il soit impertinent, cela me fait beaucoup. Le
premier défend ses opinions ; c’est son bien : le second attaque les
opinions des autres ; & c’est le bien de tout le monde.
Oh, mon cher Usbek
2
! que la vanité sert mal ceux qui en ont une dôse plus forte que
celle qui est nécessaire pour la conservation de la nature
3
! Ces gens-là veulent être admirés, à force de déplaire. Ils
cherchent à être supérieurs ; & ils ne sont pas seulement égaux.
Hommes modestes, venez, que je vous embrasse. Vous faites la douceur & le
charme de la vie. Vous croyez que vous n’avez rien ; & moi, je vous dis
que vous avez tout. Vous pensez que vous n’humiliez personne ; &
vous humiliez tout le monde. Et, quand je vous compare dans mon idée avec ces
hommes absolus que je vois par-tout, je les précipite de leur tribunal, & je
les mets à vos pieds.
De Paris, le 22 de la lune de Chahban 1720.