1
Rien ne permet de penser que le titre d’Introduction, ajouté dans la
seule édition de 1758 (il s’agit d’ailleurs là d’une utilisation
récente du mot qui n’est encore enregistrée par aucun dictionnaire
contemporain) est dû à Montesquieu. Épître selon la première phrase,
préface selon la dernière, le texte pouvait à juste titre paraître
ambigu.
2
C’est la fonction ordinaire d’une épître dédicatoire.
3
Montesquieu aurait-il pensé à une « suite », comme l’évoque
Camusat dans les
Mémoires historiques et critiques
du 15 janvier 1722 (p. 21) ? Il ne s’agit pas
nécessairement d’une continuation de l’intrigue, mais plutôt du
développement de l’aspect satirique, comme on le trouve avec les trois
lettres nouvelles de l’édition B (voir notre introduction ; Lettre Supplémentaire 5, Lettre Supplémentaire 6
et Lettre Supplémentaire 8
). Cette possibilité, exploitée abusivement par les libraires avec
les Lettres
d’une Turque à Paris, écrites à sa sœur au sérail (souvent
appelées Lettres turques ) de Poullain de
Saint-Foix à partir de 1731, sera définitivement exclue dans les «
Quelques réflexions sur les
Lettres persanes
».
4
Le rôle de « traducteur » fictif n’est pas encore une banalité
dans le roman à l’époque des Lettres persanes
, comme il le deviendra très vite à partir de Cleveland (Le Philosophe anglais ou
Histoire de monsieur Cleveland, 1731-1739) de Prévost.
L’anonymat paraît avoir fait effet pendant un temps ; Camusat
identifie l’auteur comme un « Chanoine Regulier » :
« On attribuë communément les Lettres Persannes à celui qui nous a
donné le Systême du cœur & les Agrements du langage » (Mémoires historiques et critiques , p.
22
; il s’agit d’Étienne Simon de Gamaches). De même, Le Temple de Gnide (1725, OC, t. 8, p. 389-420) se présentera comme
la traduction anonyme d’un manuscrit grec – hypothèse que le critique du
Journal des savants
(mai 1725, p. 293-294) prendra la peine de discuter.
5
Sur la légende qui voit ici une allusion à Jeanne de Lartigue, épouse de
Montesquieu, voir Introduction.
6
Le mot « se dit […] des qualités invisibles qu’on respecte en ceux
qui ont receu des ordres, des charges, & des dignités »
(Furetière, 1690, art. « Caractere ») ; « Titre, dignité, qualité,
puissance attachée à certains estats. Le Caractere de
Prestrise est un caractere indelebile, ineffaçable. caractere
d’Evesque. caractere d’Ambassadeur […] » (Académie, 1694) En reprenant une expression
semblable dans son éloge de Montesquieu, D’Alembert laisse entendre
aussi qu’il s’agit non de son être mais de sa fonction :
« Malgré le succès de cet Ouvrage, M. de Montesquieu ne s’en étoit
point déclaré ouvertement l’auteur […] ; peut-être craignoit-il
d’être attaqué sur le prétendu contraste des Lettres Persannes avec
l’austérité de sa place ; espece de reproche, disoit-il, que les
critiques ne manquent jamais, parce qu’il ne demande aucun effort
d’esprit. » (
Encyclopédie , t. V, p. iv.).
7
Chardin avait évoqué « un grand & vaste Païs que nous pouvons
appeler un autre Monde, soit par la distance des
Lieux, soit par la diversité des Moeurs & des Manieres »
(Chardin, Voyages en Perse, t. I
, préface, f. 4).
8
Sur le « langage asiatique », voir Introduction. C’est une notion qu’on trouve
chez Marana : « On trouvera presque partout un beau feu
d’imagination & une manière de s’exprimer vivement, particulière aux
Arabes […] On trouvera plusieurs tours d’expression qui ont quelque
chose de guindé & qui ne sont pas fort du génie de notre langue. On
auroit pû les changer si on avoit voulu : Mais quoi qu’on n’ait pas
regardé ces endroits comme des beautez, on a jugé neanmoins qu’ils
étoient necessaires pour la bienséance. On traduit un Arabe & un
Mahométan. » (L’Espion dans les cours des
princes chrétiens , communément appelé L’Espion turc , Cologne, 1717, Catalogue , n os 672 ou 2284 ; 1700, t. II, préface, p. 5) Plusieurs chapitres des Réflexions morales de Jean Frédéric Bernard
contiennent des « Fragment[s] d’une Relation, écrite par un
Philosophe Persan à Haly Ismaël », que l’auteur introduit en
affirmant que le Persan « conçoit presque toûjours les choses,
selon le génie des Orientaux ; mais j’avertis que j’en changerai le
tour, quand je remarquerai, qu’il s’éloigne trop de nôtre maniere
d’écrire. Par les expressions que je ne reformerai pas, de peur de gâter
les fragmens, on pourra toûjours assés reconnoître, que c’est un Persan
qui parle » (p. 100).
9
L’expression est recopiée dans le compte rendu paru en mai 1721 dans les
Lettres historiques , éditées par la
veuve de Jacques Desbordes, qui a publié les Lettres persanes : « Le stile en est vif, aisé,
naturel ; toujours dans le caractere de ceux qui écrivent, quoi-que
l’Auteur les ait sauvées d’une infinité d’expression sublimes, qui
auroient ennuyé jusques dans les nuës. » (p. 546-547) : elle paraît donc devoir retenir l’attention.
Mais elle a paru suffisamment étrange pour être diversement corrigée
(voir variante 3 ; voir aussi l’une des éditions de Pierre Brunel,
1721, identifiée sous le sigle 21 PB4 dans la bibliographie de Cecil
Courtney, OC, t. 1, p. 96-97 [Oxford, Bodleian Library,
cote : Shackleton, A259] : « envoyé jusque dans les
nuës »).
10
On trouvera des exemples de compliments dithyrambiques dans les missives
adressées au roi (Chardin, t. III, p. 205-212) et l’éloge d’Ali (ibid.,
p. 60
-73 ; voir Lettre 15
), qui sont plus ou moins imitées dans certaines lettres, par
exemple la Lettre 56.
11
Le reproche pourrait s’adresser à plusieurs romans épistolaires, dont un
des modèles du genre, Le Nouveau Roman composé de
lettres et de billets […] (1667) de l’abbé d’Aubignac (voir
Laurent Versini, Le Roman épistolaire, Paris,
PUF, 1979, chap. II). Mais d’après une
réflexion autographe copiée tardivement dans les
Pensées (voir Textes repris dans les
Pensées
), cela désignerait Balzac et Voiture, voire
Fontenelle, les Lettres persanes ayant
alors appris « à faire des romans en lettres » :
« Autre fois le stile epistolaire estoit entre les mains de pedents
qui ecrivoint en latin Balzac prit le stile epistolaire et la maniere
d’ecrire des lettres de ces gens la Voiture en degouta et come il avoit
l’esprit fin il y mit de la finesse et une certeine affe[c]tation qui se
trouve toujours dans le passage de la pedentrie a l’air et au ton du
monde Mr de Fontenelle presque contemporain de ces gens[-]la mesla la
finesse de Voiture un peu de son affectation avec plus de conoissances
et de lumieres et plus de philosophie. On ne conoissoit point encor
madame de Sevigne mes Lettres persanes aprirent a faire des romans en
lettres. » (n o 1621 ; la dernière phrase
est postérieure).