1
Épithète biblique (et donc exemple du sublime « oriental »),
appliquée à plusieurs rois de l’Ancien Testament (Esdras, VII, 12 ; Ezéchiel, XXVI, 7 ; Daniel, II, 37), puis à Jésus (I Timothée, VI, 15) ; cf. Apocalypse XVII, 14 et XIX, 16. Dans quelques édits cités par Chardin (t. III,
p. 271 et suiv.), le roi de Perse est intitulé le « Roi du
Monde ».
2
Saint-Pétersbourg est la capitale officielle depuis 1713, mais on
identifie à Moscou un pays qu’on appelle presque toujours à l’époque Moscovie et non Russie.
La variante n’est pas de pure forme : le territoire de l’empire,
décrit par des cartes approximatives (voir Pensées
, nº 1301, où Montesquieu comparera celles de la Tartarie),
n’a été vraiment reconnu qu’au cours du xviii
e siècle, la carte de la mer Caspienne n’étant
dressée avec exactitude qu’à partir de 1723 par Delisle ; voir L’Esprit des lois, XXI, 6, note g (« La Carte de la Mer Caspienne faite de
nos jours par les ordres du Czar Pierre I. a découvert les erreurs
énormes de nos Cartes modernes sur la figure de la Mer Caspienne, &
elle se trouve conforme à ce que les Anciens en ont dit. ») et les
cahiers de corrections de L’Esprit des lois sur
la carte de Batatzi (OC, t. 7,
p. 368-369 et 372-373).
3
Ce sera la définition même du despotisme, qui s’étend à la Russie. Mais
dans L’Esprit des lois , Montesquieu
montrera que le gouvernement russe est beaucoup plus complexe (voir V,
14 ; XIII, 6 ; XXII, 14) : voir Nadezda Plavinskaia,
« Russie », Dictionnaire Montesquieu
, et Rolando Minuti, « L’image de la Russie dans l’œuvre de Montesquieu », Cromohs, nº 10, 2005. Montesquieu tire
l’essentiel de son information sur la Russie de John Perry, État présent de la Grande Russie, dont il
utilisera la deuxième édition (Paris, Joseph Monge, 1718) dans L’Esprit des lois (XV, 6), tout en déclarant
citer la première (La Haye, Du Sauzet, 1717).
4
La source probable quoique légèrement déformée de cette information est
la suivante : « Les Moscovites sont à proprement parler des
barbares. Ils sont soubçonneux & défiants, cruels, Sodomites,
gourmans, avares, gueux & poltrons, tous Esclaves excepté trois
familles Etrangères ; sçavoir le Prince Sirkache cy-devant seigneur
du pays de même nom, & qui a des richesses immenses. Galischin &
Hartemonewich […] » (Foy de La Neuville, Relation curieuse et nouvelle de la Moscovie , Paris,
Pierre Aubouyn et Charles Clouzier, 1698, t. I, p. 181-205). Le prince Sircache est le prince
Tcherkasski ; lui seul peut être considéré comme un étranger
naturalisé, alors que les deux autres familles sont russes : les
Galischin (Golitsyne) et les Hartemonewich (ce nom désigne Andrei
Artamonovitch Matveev, La Neuville confondant nom de famille et
patronyme).
5
« […] le droit du Gouvernement appartient aux Prophetes seuls, & à leurs Lieutenans
ou Successeurs directs […] »
(Chardin, t. VI, p. 3
).
6
Dans une requête formelle au grand vizir, le roi est appelé
« très-haut & très-noble Monarque, à qui le Ciel sert de
marche-pied » (Chardin, t. III, p. 212) ; Chardin explique que le mot recab, qu’il traduit par marchepied, signifie proprement
étrier (p. 213). Les titres choisis par Nargum rappellent également les
épithètes de Dieu dans l’Écriture sainte : « Le ciel est mon
trône, et la terre mon marchepied. » (Isaïe, LXVI, 1).
7
« La Siberie est le lieu, où le Czar envoye les Criminels d’Etat en
bannissement perpetuel. » (Perry, État présent
de la Grande Russie , 1718, p. 95
).
8
Sujet abordé dans la Lettre 31
. Pierre I er n’a jamais défendu de boire du
vin ni de la vodka, qui constituait une des sources principales de
revenu de l’État. En 1698, il publie un édit (oukaze) contre les
ivrognes qui se ruinent totalement, vendent leur dernière chemise au
cabaretier et boivent jusqu’à perdre conscience. En 1705, il reprend le
système de fermage, aboli en 1682 par son prédécesseur, Feodor
Alekseevitch, qui avait introduit le monopole d’État sur le débit de
l’eau-de-vie. Par le même oukaze, ainsi que par ceux de 1712, 1716 et
1718, Pierre I er règlemente la vente des boissons
et le paiement des redevances. Il prévoit des châtiments sévères pour
les tenanciers : confiscation des biens, exil et bagne pour
l’infraction sur les prix, le détournement et le vol ; un châtiment
corporel, envoi des hommes aux galères et les femmes à la filature pour
le non-paiement des taxes. En 1717, le tsar établit le Collège de
Chambre (Kammer-Kolleguia) qui est chargé de l’administration des
revenus de la vente des boissons. Voir Louis Skarzynski, L’Alcool et son histoire en Russie (Paris, A.
Rousseau, 1902), et Marie-Rose Rialand, L’Alcool et
les Russes (Paris, Institut d’études slaves, 1989). Selon
Perry, les Moscovites sont enclins à s’enivrer, même les femmes parmi
les « Personnes de distinction » (État
présent de la Grande Russie , 1718, p. 275). Olearius affirme même qu’« il n’y a point de lieu
au monde où l’yvrognerie soit si commune qu’en Moscovie »
(t. I, p. 153
) ; « Les personnes de condition font leur provision de
bonne biere double, de vin d’Espagne & de toutes autres sortes de
vin » (t. I, p. 164
).
9
L’idée est ancienne : Sigmund von Herbestein, dans ses Mémoires sur la Moscovie (1549), raconte
l’histoire d’un Allemand à qui son épouse russe demandait de la battre
pour lui donner des preuves tangibles de son amour : l’Allemand y
prend goût et lui casse le cou et les jambes. C’est sans doute l’origine
d’un véritable lieu commun : la Satire Ménippée
(1594 ; Catalogue , nº
3008, éd. de 1604) compare les habitantes de la Lune aux
Moscovites : « […] car c’est religion entre elles, comme en
Moscovye, quand leur maris les battent tres bien & s’estime celle la
mieux mariee qui à plus de coups […] » (« Supplément au
Catholicon ou Nouvelles des régions de la Lune », chap.
vi
) L’Espion turc, qui a toute chance d’être
ici la source de Montesquieu, cite le témoignage d’un homme qui a passé
plusieurs années à Moscou : « Il dit que les femmes Russiennes
ne se croient pas aimées de leurs maris, à moins qu’ils ne les battent
tous les jours. Elles regardent cette correction comme une marque de
l’estime & de l’affection que leurs époux ont pour elles. »
(Marana, t. III, Lettre I, p. 7) Adam Olearius pour sa part refuse de croire à cette
légende, même si les « coups de foüet » n’y sont pas inconnus
(Relation du voyage d’Adam Olearius en Moscovie,
Tartarie et Perse, t. I, 1666, p. 175
). John Perry atteste toutefois que, à cause des mariages forcés,
« tous les Moscovites en général
maltraitent cruellement leurs femmes, & souvent même il y en a qui
les font mourir sous le bâton, sans en être punis » ; le czar
en conséquence interdit les mariages « sans le consentement
reciproque des deux parties » (État présent de
la Grande Russie, 1718, p. 243). L’Esprit des lois donnera un
fondement théorique et scientifique à la légende en déclarant que dans
les pays froids « l’âme y est […] moins sensible à la douleur. Il
faut écorcher un Moscovite pour lui donner du sentiment. » (XIV,
2).
10
Écho de la Lettre 26
: « […] je suis la plus malheureuse fille du monde
[…] ».
11
Souvenir peut-être de la manière dont Martine, qui se plaint d’être
battue au début du Médecin malgré lui ,
se tourne contre M. Robert qui veut intervenir : « Il me
plaît d’être battue » (I, 2).
12
« Et afin de les entretenir en cette bassesse, & de les
empescher de voir la liberté dont les autres peuples jouïssent dans leur
voisinage, il est défendu aux Moscovites, sur peine de la vie, de sortir
de l’Estat, sans la permission expresse du Grand Duc. » (Olearius,
t. I, p. 180
) « Autrefois même les Ministres qu’on envoyoit dans les
Cours étrangeres, n’avoient pas la permission de prendre avec eux leur
enfans, & il étoit défendu sous peine de mort à tout Moscovite de
sortir du Païs, sans une permission spéciale du Patriarche. »
(Perry, État présent de la Grande Russie, 1718,
p. 186).
13
Pierre I er (1672-1725). Vainqueur de la Suède, il
effectua deux voyages en Europe, en 1697-1698 et en 1717 (il fut alors
reçu par le Régent). Dans son Éloge de Monsieur
Leibniz prononcé devant l’Académie des sciences en 1717, qui
devait grandement contribuer à la notoriété française et européenne du
monarque, Fontenelle déclare que le czar « a conçû la plus grande
& la plus noble pensée qui puisse tomber dans l’esprit d’un
Souverain, celle de tirer ses Peuples de la barbarie, & d’introduire
chés eux les Sciences & les Arts » (Fontenelle, Œuvres diverses, Paris, Brunet, 1724,
t. III, p. 447). Sur les fluctuations de Montesquieu à l’égard du tsar,
voir Romains (XXII, p. 269, et
note 21) ; L’Esprit des lois,
XII, 26 et XIX, 14 ; Spicilège
, n os 551 et 553, mais surtout 239
(sur le voyage du tsar en France ). Pour une
synthèse, voir Nadezda Plavinskaia, « Pierre le Grand », Dictionnaire
Montesquieu .
14
Pour les Russes orthodoxes la barbe était une marque de foi religieuse,
et la couper un péché mortel. Les efforts de Pierre I er
pour s’opposer à ce signe religieux en instituant un impôt
différencié visaient surtout l’ancienne noblesse russe, les boyards, et
les habitants des villes. Mais Montesquieu, qui s’inspire sans doute de
Perry, retiendra l’idée dans L’Esprit des lois :
« Les Moscovites ne pouvoient souffrir que le czar Pierre la
leur fît couper. » (L’Esprit des lois, XI,
2, note b). Une autre de ses réformes (discutées
dans L’Esprit des lois, XIX, 14) avait été
d’instituer des écoles pour l’instruction du clergé. Moreri le salue en
ces termes en 1718 : « Le Czar qui regne en cette année 1717.
a des manieres beaucoup plus polies que ses prédecesseurs. Il s’applique
à adoucir peu a peu la ferocité de ses peuples, s’attache à faire valoir
le commerce & la navigation, il a même voïagé en Italie, en
Hollande, en Angleterre, & en Allemagne, pour s’instruire, par
lui-même, de ce qui concerne le negoce & la marine, & le
Gouvernement des peuples. Il fait aussi fortifier regulierement la
plûpart de ses frontieres, & se sert beaucoup d’Officiers Allemans,
qui établissent de jour en jour l’usage de la discipline Militaire dans
les troupes Moscovites. » (« Moscovie », », t. IV,
p. 340
). Si Voltaire contribua à en forger l’image avec son Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand
en 1763, celle-ci était déjà répandue en France.
15
Voir L’Esprit des lois, IX, 9 :
« Vers le milieu du regne de Louis XIV […] la Moscovie n’étoit
pas plus connue en Europe que la Crimée ».
16
La paix avec la Suède, conclue au congrès de Nystadt (1721), allait
permettre à la Russie de garder ses conquêtes en Baltique. Mais en 1711,
la malheureuse campagne de Pruth lui avait fait perdre Azov et les
terres prises à la Turquie durant la guerre de 1696.