1
Cet audacieux transfert du domaine religieux au domaine civique suscitera
des échos tout le long du siècle, chez Voltaire et Diderot
notamment. Voir à cet égard la Lettre 10, et les lettres sur les Troglodytes (Lettres 11-14) qui semblent n’invoquer que très accessoirement les
dieux. La polémique de cette lettre a pour cadre le Décalogue, la
doctrine biblique de l’amour, et la controverse entre l’Ancien et le
Nouveau Testament au sujet des cérémonies. Les quatre premiers
commandements du Décalogue concernent les rapports de l’homme à
Dieu ; les devoirs envers les hommes ne commencent qu’avec le
cinquième (Deutéronome, V, 6-18 ; voir aussi Marc, XII, 28-31). Pour élever au premier rang les devoirs envers
l’homme, Montesquieu distingue entre les actes et l’objet de la
religion. L’abbé Gaultier rejette la distinction et observe avec
justesse que l’auteur « donne au second précepte le premier
rang » (Les Lettres persanes convaincues d’impiété, p. 64
).
2
Cet intérêt pour la variété des pratiques religieuses dans le monde sera
reflété dans le grand ouvrage de Bernard Picard,
Cérémonies et coutumes religieuses de tous les
peuples du monde
, Amsterdam, Jean-Frédéric Bernard, 1723.
3
Pluralisation adroite du problème de la vérité en religion, car Usbek
remplace la simple bipolarité attendue (entre catholiques et
protestants) par une myriade de vérités possibles qui s’opposent toutes
à la simplicité d’une religion naturelle, dont on remarquera qu’elle se
passe de tout intermédiaire ou prêtre.
4
La diversité des langues et des cérémonies de la liturgie chrétienne
était soulignée par Edward Brerewood dans Enquiries
touching the Diversity of Languages and Religions through the chief
Parts of the World que Montesquieu possédait en traduction
française à La Brède (Recherches curieuses sur la
diversité des langues et religions en toutes les principales parties
du monde, 1663 ; Catalogue ,
n os 1831, 2659).
5
Le juif, le quaker peut-être, et le chrétien ou le musulman :
Chardin remarque que les Persans s’assoient sur leur tapis « sur
les talons, ce qui se fait en se mettant à genoux, les talons
serrez l’un contre l’autre » (t. VII, p. 261).
6
Usbek a déjà évoqué dans la Lettre 16 l’obligation musulmane « de [se] laver
sans cesse le corps ». Les ablutions, pratiquées par les juifs et
par les mahométans, sont un des points de controverse entre Jésus et les
Pharisiens. Les ablutions sont citées à côté des « cérémonies
charnelles » qui « n’avoient été imposez que jusqu’au temps
que cette loi seroit corrigée. » (Hébreux, IX, 10).
7
Le prépuce.
8
« Terme de la Relation du Levant. C’est
le nom qu’on y donne à des grands bâtimens qui servent à loger des
Caravannes. […] Il y a dans le Levant plusieurs de ces Caravanseras, que la charité des Princes ou des personnes
riches y a fait bâtir […] » (Richelet, 1719). « C’est un grand
bâtiment destiné à loger les Caravannes. Il y en a un grand nombre dans
plusieur endroits d’Orient, qui ont été bâtis par la charité & la
magnificence des Seigneurs du païs [...] » (Furetière, 1701, art.
« Caravansera ») La forme caravanserai
, que l’on trouve chez Chardin, semble « plus conforme à
l’étymologie alleguée ici » (ibid.).
9
Le lièvre est parmi les animaux déclarés immondes et défendus dans le
Lévitique : « Le lièvre aussi est impur, parce que quoiqu’il
rumine, il n’a point la corne fendue » (XI, 6). Les règles alimentaires, de même que les ablutions,
sont parmi les préceptes abrogés par l’Évangile : « “Ne mangez
pas, vous dit-on, d’une telle chose, ne goûtez
pas de ceci, ne touchez pas à
cela.” Cependant ce sont des choses qui périssent toutes par
l’usage, & en quoi vous ne suivez que des maximes & des
ordonnances humaines […] » (Colossiens, II, 21-22 ; voir Hébreux, IX, 10).
10
« Le cochon leur est défendu, le lievre,
& tous les autres animaux qui sont interdits
par la Religion Judaïque […] » (Chardin,
t. IV, p. 183) « Il vous est deffendu de manger de la charogne,
du sang, de la chair de pourceau, & de tout ce qui n’est pas tué en
proferant le nom de Dieu, il vous est deffendu de manger des animaux
estouffez, estranglez, assommez, precipitez, qui se sont tuez heurtant
l’un contre l’autre, & ceux que les animaux auront tuez [...] »
(Coran, p. 99
; sourate V, 4) « […] qu’on leur mande seulement qu’ils
s’abstiennent […] des chairs étouffées & du sang. » (Actes,
XV, 20). Sur ces prescriptions, voir Lettre 16.
11
Tavernier avait remarqué que lors de cinq fêtes dans l’année la viande
était interdite chez les Arméniens, mais non le poisson ; il ne
s’agit pas d’une interdiction générale, les Arméniens étant chrétiens.
Voir Chardin, t. II, p. 229-233 ; Tavernier, Les Six Voyages
, t. I, livre IV, chap. ix, p. 111 ; Tournefort, Lettre XX (t. III, p.
273).
12
« Secte de Prêtres & de Philosophes Indiens, qui vivoient en
partie dans les bois » (Furetière, 1701, art. « Brachmanes »).
13
Tavernier explique ainsi la métempsycose :
« [les Indiens] comme les Idolâtres croyent ce passage des ames
raisonnables dans les corps des animaux, ils abborrent de tuer quelque
animal que ce soit, de peur d’être coupables de la mort de quelqu’un de
leurs parens ou amis qui fait penitence dans l’un de ces corps. » (
Les Six Voyages, livre III, chap.
vii, t. II, p. 424). Les Pensées dénonceront
les méfaits de cette superstition : « allés dans les Indes
voir naitre de ce dogme celui de la transmigration des ames, voir les
hommes obligés de vivre de legumes aprés avoir souffert la faim souffrir
encore le froid et n’oser bruler du bois qui pourroit servir de retraite
a quelque insecte, les femmes contraintes de se bruler aprés la mort de
leurs maris, les tresors par tout ensevelis et rendus par superstition a
la terre dont ils avoient eté tirés » (n o
231, copié en 1731-1732).
14
La Lettre 46 continue le
raisonnement de la Lettre 10
où Mirza distingue les devoirs du vrai croyant de ceux du citoyen et du
père de famille. Comme dans la fable des Troglodytes, Usbek préserve les
éléments utiles de la morale religieuse. L’abbé Gaultier proteste :
« C’est-à-dire, que toute religion est indifférente, pourvû que
l’on y remplisse les devoirs de la société. […] L’Auteur suppose que
l’homme n’a besoin que de lui-même pour plaire à Dieu » (Les Lettres persanes
convaincues d’impiété, p. 70
).