1
« Tocat, anciennement Neocæsarea & Hadrianopolis, Ville
de la Natolie en Asie. Elle est dans l’Amasie, sur le Casalmach, environ
à 33 lieues de la ville d’Amasie, vers le Levant » (Moreri,
1718, t. V, p. 113
). Tavernier dit que c’est « un des plus grands passages de
l’Orient, & qu’il y arrive incessamment des Caravanes de Perse, de
Diarbequir, de Bagdat, de Constantinople, de Smyrne, de Synopé &
d’autres lieux » (Les Six Voyages ,
livre I, chap. ii, t. I,
p. 14
).
2
La dernière lettre d’Usbek, écrite d’Erzeron, est du 20 août ;
on est maintenant le 2 novembre. De Smyrne à Tocat, indique Tavernier,
« il y a à peu prés trente cinq journées de Caravane »
(livre I, chap. vii, t. I,
p. 116) : c’est le temps que calcule Jean-Paul Schneider
(« Les jeux du sens dans les Lettres persanes
. Temps du roman et temps de l’histoire », Revue Montesquieu n o 4,
2000, p. 127-159
, ici p. 153) ; Tournefort au contraire ne compte que
vingt-sept jours pour le même trajet « sans passer par Angora ni
par Prusse » (Relation d’un voyage du Levant
, Lettre XXI, t. III, p. 302). De Smyrne, les voyageurs prendront la mer pour aborder
en quarante jours à Livourne (Lettre 21).
3
C’est la définition même du despotisme, miné par un « vice
intérieur », tel qu’il apparaîtra dans L’Esprit des lois (notamment VIII, 10). Tous les voyageurs
ont contribué à cette perception générale de la décadence de l’Empire
ottoman (à laquelle échappe, implicitement, la Perse) : Paul Lucas,
passim ; Tournefort (Lettre XIII, « Du gouvernement & de la Politique des
Turcs », t. II) ; Rycaut, livre I, chap. xv (p. 123), intitulé : « Que le degast que font les
Turcs, des Provinces qui leur appartiennent dans l’Asie, & dans les
autres lieux éloignez du siege de l’Empire, est une des causes de sa
conservation. ».
4
Le mot bachas (sous la forme bassa) est ainsi défini dans L’Espion turc
: « Titre d’honneur qu’on donne aux Gouverneurs de
Provinces, & au Conseillers privez du Grand Seigneur. » (voir
édition de 1715, fin du tome I : « Table alphabetique de certains mots Turcs & Arabes
»).
5
« Mais cét Empire, quelque grand qu’il soit, ne laisse pas d’estre
dépeuplé en plusieurs endroits, les villages y sont abandonnez ;
& des provinces aussi agréables & fertiles, que Tempé, ou la
Thessalie, sont desertes, & sans estre cultivées. Ces desolations
viennent de la tyrannie & de l’avarice insatiable des Beiglerbeys & des Bachas
, qui […] exposent les pauvres habitans aux insultes & aux
violences de leurs gens, qui les traitent comme des ennemis, & comme
s’ils estoient dans un païs conquis. » (Rycaut, livre III,
chap. i, p. 305). L’idée est reprise dans le recueil d’extraits Pièces diverses, cité dans le dossier de L’Esprit des lois (Ms 2506/8 et
2506/10 ; OC, t. 4, p. 824, 848,
849, etc.) et dans les Pensées ,
nº 1752 : « Les Gots recus par Valens dans l’empire
devasterent la Trace, la Macedoine, et la Tessalie, contrée qui est
telle et si grande et in ea tam multa aratra terram versant et nulla
oratione earum fertilitas exprimi possit Excerpta de legationibus ex
Historia Dexippi atheniensis, Pieces diverses p 406. Ce pays a la
reserve de quelques forteresses est si devasté ut incoli adiri amplius
non possit. *Il est encore chez les Turcs tel que l’auteur le
decrit » (recopié en 1748-1750).
6
La Turquie est à l’époque, et surtout depuis Rycaut,
État présent de l’Empire mahométan
Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1670, que L’Esprit des lois utilisera (voir III, 9, V, 14, etc.), le
type même de l’État despotique : « Le Grand Seigneur gouverne
despotiquement ses peuples », dit
Furetière en guise de définition (1690, « Despotiquement ») : cf. Pierre Bayle,
« Du despotisme », Réponse aux
questions d’un provincial (Rotterdam, Reinier Leers,
1704-1706, 5 volumes, Catalogue , nº 1538), chap. XXVIII, t. II, p. 263-276, et Lettre 118
, note 2. Voir Thomas Kaiser, « The Evil Empire ?
The debate on Turkish despotism in eighteenth-century French political
culture », Journal of Modern History
nº 72, 2000, p. 6-34.
7
Les juifs et les chrétiens étaient tolérés en Turquie comme dans les
autres pays musulmans, mais ils avaient un statut légal inférieur et
devaient payer l’impôt de la capitation. Moreri cite les persécutions
des chrétiens comme une des causes du déclin de la culture des
terres : « Les terres y sont fertiles : mais cette
fecondité devient inutile par la paresse des Turcs, & par les
oppressions qu’ils font souffrir aux Chrétiens, qui aiment mieux ne les
pas cultiver, que de les cultiver pour d’autres. […] les Turcs naturels
sont sinceres, quand on l’est à leur égard, & ont beaucoup de
politesse entr’eux, & beaucoup de propreté en leurs manieres. La
ferocité qu’ils font paroître envers les Chrétiens vient, ou d’habitude
ou d’affectation, pour montrer qu’ils en font peu d’estime. »
(« Turquie », 1704, t. V, p. 821 et 1718,
t. V, p. 205
). Quant aux juifs, il leur était défendu de porter des vêtements
luxueux et d’habiter certains quartiers.
8
Ce sera une caractéristique du régime despotique, selon L’Esprit des lois : « De tous les
Gouvernemens despotiques, il n’y en a point qui s’accable plus lui-même,
que celui où le Prince se déclare propriétaire de tous les fonds de
terre, & l’héritier de tous ses Sujets. Il en résulte toûjours
l’abandon de la culture des terres ; & si d’ailleurs le Prince
est Marchand, toute espece d’industrie est ruinée. » (V, 14).
9
« Il est aisé de connoître par ce que nous venons de dire, pourquoy
les Arts sont si fort negligez en Turquie ; pourquoy les Turcs ont
si peu de soin de faire valoir les terres, & de bâtir des maisons de
durée […] Cela vient de ce qu’ils n’ont point d’héritiers assûrez, à qui
ils puissent laisser le fruit de leur travail aprés leur mort. »
(Paul Rycaut, Histoire de l’état présent de
l’Empire ottoman , livre I, chap. xvii, p. 144). Montesquieu remarque aussi dans les Considérations sur les richesses de l’Espagne (c. 1725) que « [l]es arts avoient esté
detruits en Asie et en Affrique par les conquêtes des Mahometans »
(OC, t. 8, p. 613).
10
Rycaut insiste sur le déclin de la puissance militaire turque :
« […] cette grandeur d’ame, & cette haute majesté des premiers
Empereurs Turcs a beaucoup perdu de son éclat & de sa beauté. Depuis
quelques tems leurs forces de terre sont diminuées, celles de mer ont
été réduites en un pitoyable état, par le mauvais succés, & par
l’ignorance des gens de mer ; les Provinces sont dépeuplées, &
le revenu des Sultans fort diminué. » (livre III, chap.
i, p. 304).
11
C’est justement le thème du chapitre de Rycaut intitulé : « Des
forces des Turcs par mer » (livre III, chap. xii, p. 376 et suiv.).
12
L’Espion turc écrit que l’île de Malte « n’est qu’un atome de terre
invisible par maniere de dire. Il n’en est pas de même des Chevaliers
qui en sont les Maîtres », qui avec peu de vaisseaux « font
trembler les Flotes des Ottomans » (Marana, Lettre LXXV, 1700,
t. I, p. 245).
13
« Se dit figurément en Morale, du travail & de
l’affliction d’esprit, d’une grande application à quelque
chose. » (Trévoux , 1704).
14
Vertot, historiographe de l’ordre de Malte depuis 1715, n’a pas encore
publié sa monumentale Histoire de Malte en
dix tomes (1726), mais le souvenir des sièges de Rhodes (1522) et
surtout de Candie (1670) est encore présent dans les mémoires, la
noblesse européenne s’y étant illustrée.
15
Sur la vitalité du commerce à Smyrne, voir Pensées
, n os 262, 264, 1556 et 1888.
16
Dans cette lettre, Usbek présente les causes naturelles de la défaite
qui, dans la Lettre 119,
sera attribuée à des causes surnaturelles.