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L’Espion turc (IV, 20, p. 79-82), à l’occasion de la découverte
du tombeau de Chilpéric, envoie à son correspondant un cabinet
d’antiquités – mais sans ironie aucune. Alors que depuis la deuxième
moitié du XVIIe siècle, les « antiquaires »
fondent la science du passé sur l’observation et la classification
des objets, mis en relation avec les textes (ce dont témoigne la
toute récente et fameuse Antiquité représentée en
figures de Dom Montfaucon, 1719 – elle aurait été terminée
dès 1711 – Catalogue , nº 3224, achetée postérieurement), ce « savant »
n’est en fait qu’un amateur de curiosités, désireux de constituer un
cabinet de « précieuses raretés » hétéroclites, à une
époque tournant qui verra bientôt (1720-1750) les
« coquilles » l’emporter sur les médailles (Krzysztof
Pomian, Collectionneurs, amateurs et curieux
, Paris, Gallimard, 1987). On peut penser à plusieurs
modèles : Montfaucon lui-même (voir aussi la
note suivante), le père Hardouin (voir ci-dessous note 7)
– voire Fréret, qui s’était voué entièrement à l’Antiquité :
tous savants d’envergure, et non riches amateurs trop crédules, mais
qu’une passion exclusive pour leur science et la minutie de leurs
recherches pouvaient aisément désigner aux sarcasmes de leurs
contemporains. En revanche ce ne peut être Caylus, qui ne se
consacre à l’Antiquité que bien plus tard, et qui justement dénonce
ces collections de type archaïque (voir Alain Schnapp, La Conquête du passé. Aux origines de
l’archéologie, Paris, Carré, 1993).
2
On en montrait un à l’abbaye de Saint-Denis ; Dom Montfaucon
(selon Montesquieu, qui l’a confondu avec Dom Mabillon) l’aurait
cassé : voir Spicilège ,
nº 387 (« J’ai oui dire que les benedictins employerent
d’abord don Bernard de Montfaucon a montrer le tresor de s t Denis[.] qu’il disoit qu’il s’accomodoit
assés de ce poste excepté qu’il estoit un peu mal adroit de facon
qu’il avoit une fois cassé un miroir de Virgile »).
3
Montesquieu n’en possédait pas moins plusieurs ouvrages de
numismatique (Catalogue , n os 3216-3236), dont un récent, celui du père Banduri
(1718), acheté au prix (élevé) de soixante livres en mai 1720 ; la « science des médailles » est
en vogue dans la mesure où elle offre des témoignages moins
corrompus et plus sûrs que les textes, et se prête bien à la
collection. Voir Alain Schnapp, La Conquête du
passé. Aux origines de l’archéologie, p. 182-189.
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Avant la fin du XVIIIe siècle, le recours aux manuscrits pour
l’établissement des textes antiques n’est pas systématique, le
travail des philologues humanistes apparaissant généralement comme
la meilleure base dont on puisse partir. Ce qui semble normal au xxi
e siècle pouvait être considéré comme
présomptueux et inutile au XVIIIe.
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La collecte d’informations sur les bornes milliaires ou les voies
romaines devait donner lieu, mais plus tard, à plusieurs
interventions de Fréret à l’Académie des inscriptions.
6
C’est le principe de la satire de Thémiseul de Saint-Hyacinthe,
Le Chef-d’œuvre d’un inconnu
(La Haye, 1714), qui doit être replacée dans le droit
fil de la Querelle d’Homère (Henri Duranton éd., Publications de
l’université de Saint-Étienne, 1991, p. 13).
7
Le père Hardouin. Son édition de Pline l’Ancien (1685), dans la
collection Ad usum Delphini, fait date. La
seconde, monumentale, devra attendre 1723 pour paraître enfin (
Catalogue , nº 1809 ; l’extrait de cette édition qui figure parmi
les manuscrits de Montesquieu [Ms 2626/16] est en fait de son fils,
et a été exclu pour cette raison des Extraits
et notes de lecture II, OC, t. 17). Hardouin s’était aussi déconsidéré par
des propositions délirantes sur la littérature antique, qu’il
jugeait presque entièrement apocryphe (voir Jean Sgard, « Et si
les Anciens étaient modernes… le système du P. Hardouin »,
D’un siècle à l’autre : Anciens
et Modernes , Marseille, 1987, p. 209-219) :
Montesquieu le tient pour un fou (Pensées
, n os 872 et 1881 ; Spicilège , nº 589 : « Il
avoit la credulité d’un enfant, l’audace d’un jeune homme et les
réveries d’un viellard. »). Mais si c’est le pointillisme qui
est ici visé, on peut penser à ses premières interventions dans le
Journal des savants en 1681, ou à bien
d’autres travaux d’érudits dans le même périodique.
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Nom romain de l’Écosse. John Law était né à Édimbourg en 1671 ;
son père était orfèvre et banquier.
9
Grand joueur, Law usa avec succès du calcul des probabilités, mais
sans doute plus à l’égard des changes que dans les jeux proprement
dits (voir Lettre 129).
On trouve sa trace en France en 1692, 1695 (auprès de la cour de
Saint-Germain), 1707, à Gênes et à Venise, enfin en Hollande
(1712) ; il est fixé en France en 1714. En décembre 1713, il
entre en contact avec le contrôleur général Desmaretz. La mort du
roi et surtout l’opposition de Rouillé de Coudray firent capoter son
projet de banque, présenté au Conseil dès octobre 1715. C’est en
août 1719 que le Système commença à s’établir véritablement (Edgar
Faure, La Banqueroute de Law, Paris,
Gallimard, 1977, p. 90).
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Dans l’Antiquité, la Bétique était une des deux provinces romaines
d’Espagne, correspondant à peu près à l’Andalousie, et peut aussi
désigner l’ensemble de la péninsule ibérique, dont les richesses
minières avaient attiré les conquérants (voir Diodore de Sicile, V,
35-38, et Pline l’Ancien, XXXIII, XXI [78]). L’Espagne, enrichie en principe, mais
appauvrie de fait par l’afflux des métaux précieux d’Amérique (voir
Lettre 18, Lettre 102, Lettre 114, Lettre 130), n’est ainsi
désignée que fugitivement, puisque c’est de la France qu’il est
question ici. Mais on pense aussi aux campagnes idylliques de la
Bétique des Aventures de Télémaque : le
contraste avec la simplicité patriarcale, gage de bonheur, qui règne
chez Fénelon est manifeste (Fénelon, Œuvres
, Jacques Le Brun éd., Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », t. II, 1997, livre VII).
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Il s’agit « soit des actions rentières au porteur, soit des
contrats de constitution de rente » sur la Compagnie des Indes,
à partir de la fin d’août 1719, en une « structure sans
défaut » selon Edgar Faure (La Banqueroute
de Law, p. 225-226). Les premières réactions sont
enthousiastes, le cours escompté pour les titres de la Compagnie
étant censé connaître une augmentation de 2 000%.
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« Legitime. s. f. Droit que la loy
donne aux enfans sur les biens de leurs pere & mere, & qui
leur est acquis, ensorte qu’on ne les en peut priver par une
disposition contraire. La legitime des
enfans selon la Coustume de Paris, est la moitié de ce que chacun
auroit eu ab intestat. » (Furetière,
1690, art. « Legitime »).
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L’arrêt du 28 janvier 1720 ordonne le cours forcé immédiat des
billets de banque et force les dépositaires d’espèces ou de métaux
précieux à les remettre aux Monnaies (La
Banqueroute de Law , p. 327-330).
14
L’arrêt du 11 mars 1720 prévoit pour le 1 er
mai la disparition de l’or comme monnaie, l’argent seul étant
conservé (sixième d’écu et livre d’argent, et louis d’argent ou
tiers d’écus créés par édit du 15 mars ; ibid., p. 358-391.
15
L’arrêt du 3 décembre 1719 dévalue les monnaies métalliques,
alors que depuis le 1 er décembre les espèces
ne sont plus reçues à la Banque (ibid.,
p. 276-278).
16
Une ordonnance du 20 juin ordonne aux sujets du roi de rapatrier les
fonds placés à l’étranger (ibid.,
p. 475).
17
Une déclaration du 4 février 1720 interdit le port de diamants,
perles et autres pierres précieuses ; d’autres
(18 février) limitent l’emploi des métaux précieux en
orfèvrerie. Les interdictions sont réitérées le 4 juillet dans le
contexte déflationniste qui suit la crise du 21 mai (ibid., p. 324 et 475).
18
L’arrêt du 21 mai 1720, après le préambule habituel évoquant la
situation catastrophique héritée du feu roi, diminua la valeur des
actions et des billets de 50%, selon un échéancier de six mois (ibid., p. 428-431), à la stupéfaction
générale, le secret ayant été bien gardé. Montesquieu traitera
pleinement de cette épisode dans un développement recueilli dans les
Pensées , n o
1610 (Textes repris dans les
).
19
Le 29 mai, par un édit peut-être préparé par Law lui-même, mais ne
portant pas son nom, sont réintroduites les monnaies d’or et
d’argent. Le retour de l’or est confirmé par la fabrication de
nouvelles pièces (17 juin 1720), tandis que la rente est
restaurée.
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« Entre le 20 et le 30 juillet, Law remet au Régent un texte qui
a été publié sous le titre de Mémoire sur le
discrédit , préconisant divers débouchés destinés à
absorber les trois quarts des billets » – qui en fait sont
retirés le 15 août, selon un échéancier détaillé, le projet du
Mémoire étant finalement abandonné
(ibid., p. 497 et suiv.). Mais
peut-être l’allusion concerne-t-elle plutôt l’arrêt du
15 septembre, qui réduit de trois quarts les comptes en banque
(ibid., p. 509-513), ce qui suscite
les plus vives réactions.