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Cet événement relève de l’actualité immédiate. Après la mort de Charles
XII en décembre 1718, sa sœur Ulrique Eléonore, épouse du prince
Frédéric de Hesse-Cassel, proclama son avènement à la couronne et
convoqua les États de Suède (voir Lettre 130, note 17). Mais les traditions
suédoises excluaient une reine mariée ; elle accepta de déclarer le
trône vacant et de reconnaître le pouvoir des États, moyennant quoi elle
fut librement élue reine de Suède le 21 février 1719. La Gazette d’Amsterdam n o
27 du 4 avril (Lettre de Stockholm datée du 23 février)
annonce son élection par les États le 3 février ; le 17, les
députés du clergé et les communes communiquent à la noblesse que la
reine « leur a insinué, qu’elle souhaiteroit que le prince son
Epoux lui fût adjoint à la Régence, pour en pouvoir mieux soutenir le
poids » ; le 21, le prince dit qu’« il ne prétend à rien,
mais accepteroit tout ce qu’on jugeroit à propos de lui offrir ».
Elle abdique en sa faveur le 29 février, moins d’un mois avant la date
que porte cette lettre de Rica : « La Reine, pour
faciliter l’élection du Prince à la Couronne, a envoyé une seconde
déclaration aux Etats, par laquelle S. M. se désiste entièrement de la
Régence en faveur de S. A. Royale » (Gazette
d’Amsterdam n o 30, 12 avril). Après
diverses négociations, Frédéric est élu roi le 4 avril (Gazette d’Amsterdam nº 33, 23 avril). Voir
Claude Nordmann, Grandeur et liberté de la Suède
(1660-1792), Paris, Béatrice-Nauwelaerts, 1971,
p. 232-233. Voltaire comme Montesquieu attribue cette abdication à
la « tendresse conjugale » dans son Histoire de Charles XII, roi de Suède (1731,
livre VIII ; 1732, 3 e éd., p. 351 ; Œuvres complètes, Oxford,
Voltaire Foundation, 1996, t. IV, p. 546).
2
La reine Christine (1626-1689), était célèbre pour son intelligence et
pour avoir attiré Descartes à sa cour (1649), mais aussi pour ses
intrigues et pour son éclatante conversion au catholicisme : elle
avait quitté la Suède en 1654 et mourut à Rome où elle fut inhumée dans
la basilique Saint-Pierre. À en croire Moreri, il se mêlait à sa
« philosophie » une ambiguïté sexuelle certaine : elle
s’habillait volontiers en homme et « étoit tournée pour le corps
& pour l’esprit d’une maniere, qui luy a souvent fait dire à
elle-même, que la nature s’étoit trompée, lorsqu’elle en avoit fait une
fille » (Moreri, « Christine, Reine de Suede », 1704,
t. II, p. 228 et 1718, t. II, p. 354
).
3
Voir Lettre 28, note 3.
4
En l’occurrence, la « nature » renvoie à la succession du sang
royal. Dans le cas d’Ulrique Éléonore, qui était mariée, la succession
était moins claire ; mais elle n’en était pas moins la sœur de
Charles XII, et par là héritait de certains devoirs envers l’État.
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Le vocabulaire est stoïcien (c’est même un argument qui peut se retourner
contre le droit au suicide : il faut « tenir son
poste »), et l’application à deux femmes est remarquable – d’autant
que Montesquieu n’accorde aucune attention au conquérant qui fascinera
les historiens, Charles XII (voir Lettre 122). Après la fausse grandeur des parvenus, la
vraie grandeur du renoncement au pouvoir, comme chez le personnage
principal du Dialogue de Sylla et d’Eucrate
(1724-1726) ? L’interprétation reste ouverte.
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L’interprétation de Rica (ironique ?) ne semble pas venir de la Gazette d’Amsterdam, qui rapporte que la reine
persiste dans son dessein de céder la couronne à son mari « croyant
que cela étoit absolument nécessaire pour rétablir les affaires
délabrées » (6 avril 1720).