1
Voir cependant Pensées, n os
115-116, 118-120, où Montesquieu évoque Homère et ses
traducteurs, et de manière générale compare poésie ancienne et poésie
moderne. La Motte et Fontenelle opposent le « langage
naturel » de la prose à l’artifice du vers, et l’emploi du vers,
notamment dans la tragédie, détermine la position des Modernes contre
les Anciens : la question est donc dans l’air dans le premier quart
du siècle bien que Fontenelle ne publie qu’en 1752 Sur la poésie en général.
2
Parmi ces « ornemens » doivent figurer les épithètes,
nécessaires en poésie car « elles ajoutent toujours[,] ce
sont les couleurs, les images des objets » (Pensées , nº 123).
3
Cette idée d’un barème géographique de l’imagination qui va du froid
septentrional à l’esprit « échauffé » du midi se trouve déjà
chez M me Dacier, selon laquelle « il y a des
Nations si heureusement situées, & que le Soleil regarde si
favorablement », c’est-à-dire les nations de l’Orient, qu’elles
« ont beaucoup plus de vivacité, d’imagination & de fleur
d’esprit » (Des causes de la corruption du
goût , Paris, Rigaud, 1714, p. 18-19 ; voir Lettre 137, note 9). Dans L’Esprit des lois (XIV, 3), une imagination « si vive
que tout les frappe à l’excès » caractérisera (négativement) les
peuples du midi, définis également par « une foiblesse qui les rend
timides ». De même, dans l’ Essai sur les
causes (1736-1738), l’imagination est contestée aux peuples
du nord (OC, t. 9, p. 223-224
).
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Ce serait l’ Iliade et l’ Odyssée, pour les partisans d’Homère que satirise un auteur
du Nouveau Mercure galant (juin 1715,
p. 166-167) : « Un Poëme Epique n’est parfait
qu’autant qu’il est conforme à celuy d’Homere. ¶Or, rien ne sera jamais
plus semblable à Homere, qu’Homere même. ¶Donc on n’inventera jamais un
Poëme Epique aussi parfait que celuy d’Homere. » Sur la
« querelle d’Homère » et ses enjeux esthétiques chez
Montesquieu, voir Lettre 34.
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Cela précisément à l’époque où Voltaire travaille à La
Ligue, achevée en octobre 1721, mais qu’il fait lire bien plus
tôt dans tout Paris. Il l’accompagnera en 1727 de son Essay on Epic Poetry qui traite notamment de Milton. Cf.
Pensées , nº 111 (« J’aime a
voir les querelles des anciens et des modernes cela me fait voir qu’il y
a de bons ouvrages parmi les anciens et les modernes. »).
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Notion atténuée de la vis comica (force comique)
que, selon Marmontel, « les commentateurs ont interprété[e] à leur
façon, mais qui doit s’entendre de ces grands traits qui approfondissent
les caracteres, & qui vont chercher le vice jusque dans les replis
de l’ame, pour l’exposer en plein théatre au mepris des
spectateurs » (Encyclopédie ,
« Comédie (Belles-Lettres) »,
t. III, p. 667a). Selon Boileau déjà, la comédie comporte des
« passions finement maniées » (Art
poétique , III). Sur l’influence morale de la comédie,
pourtant condamnée par les anciens, voir Pensées
, n o 217 ; sur la difficulté avec
laquelle elle peut se renouveler, voir Pensées
, nº 287 : « Il est impossible presque de faire
de nouvelles trajedies bones parce que presque toutes les bones
situations sont prises par les premiers autheurs c’est une mine d’or
epuisée pour nous il viendra un peuple qui sera a notre egart ce que
nous somes a l’egart des Grecs et des Romains. Une nouvelle langue de
nouvelles moeurs de nouvelles circonstances feront un nouveau corps de
trajedies les autheurs re prendront dans la nature ce que
nous y avons deja pris ou dans nos autheurs meme et bientost ils
s’epuiseront come nous nous somes epuisés. Il n’y a qu’un trenteine de
bons caracteres de caracteres marqués ils ont esté pris le medecin le
marquis le joueur la coquette le jaloux l’avare le misantrope le
bourgois [;] il faut une nouvelle nation pour former de nouvelles
comedies qui mesle aux caracteres des homes ses propres mœurs ».
7
Marmontel niera catégoriquement que le degré de passion puisse suffire à
distinguer les deux genres (Encyclopédie,
« Comédie (Belles-Lettres) », 1753,
t. III, p. 665b). Montesquieu est grand amateur de théâtre : il
rapportera d’Angleterre plusieurs volumes d’œuvres dramatiques (Bibliothèque virtuelle Montesquieu, « L’enrichissement du Catalogue »), et L’Esprit des lois arrivera à faire une place
à Phèdre (XXVI, 4) ; voir aussi Pensées , n os
126-129, 143 (datée de 1723), etc.
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Le mot désigne surtout les « anciennes odes ou stances qui répondent
à nos airs ou chansons » (Encyclopédie
, « Lyrique (Littérature) »,
1765, t. IX, p. 780a), c’est-à-dire Pindare surtout, et ensuite Alcée,
Sapho, Horace, voire pour les modernes Malherbe et Rousseau (« Ode
(Poésie lyrique) », 1765, t. XI,
p. 346a).
9
Allusion aux idylles et églogues à la manière antique, que célébrait
Boileau au chant II de l’ Art poétique ;
voir aussi Fontenelle, Discours sur la nature de
l’églogue (publié en 1752) et Pensées sur
le bonheur (1724) ; Furetière définit églogue comme une « Espece de Poësie Pastorale, où on
introduit des Bergers qui s’entretiennent » (« Eglogue
», 1690). Dans l’ Encyclopédie Jaucourt cite en exemples Théocrite et
Virgile, et parmi les Français, Ronsard, Marot, Racan, Segrais, Malherbe
(« Eglogue (Belles-Lettres) »,
t. V, 1755, p. 427).
10
Parmi les épigrammatistes l’ Encyclopédie
citera Martial et Piron (« Epigramme (Belles-Lettres) », t. V, 1755, p. 793). Montesquieu possédait un volume du Recueil d’épigrammes des poètes français depuis Marot
, Paris, 1700 (Catalogue , nº
2038) de Pierre Richelet.
11
Les romans sont classés après la poésie, mais dans la même catégorie,
comme œuvres de fiction, conformément au classement le plus commun
depuis la fin du xvii
e siècle, celui des « libraires de
Paris » ; pour le classement des bibliothèques privées, voir
François Furet, « La librairie du royaume de France au xviii
e siècle », dans Livre et Société dans la France du xviii
e siècle , Paris et
La Haye, Mouton, 1965, p. 3-32 ; dans le catalogue de La
Brède (qui constitue un classement intellectuel, et non matériel), les
romans suivent immédiatement les poètes et sont mêlés aux mythologistes,
fabulistes, satiristes, etc. : Catalogue
, p. 371
.
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Cela renvoie sans doute à la définition initiale : « dont le
metier est de mettre des entraves au bon sens ». Ce qui n’empêche
pas Montesquieu de livrer, après les Lettres
persanes , Le Temple de Gnide
(1725) qu’il considère comme un roman. Mais ce qu’il dénonce ici, ce
sont plutôt les romans de chevalerie, héroïques et galants, du xvii
e siècle, « le système merveilleux de la
Chevalerie » dont il fera l’éloge dans L’Esprit des lois (XXVIII, 22) comme élément civilisateur.
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Dans les Pensées (n o
1438), à l’occasion du Temple de Gnide
, Montesquieu justifie vigoureusement les romans, au nom de la
légitimité naturelle des passions : « La lecture des romans
est dangereuse sans doute. Qu’est ce qui ne l’est pas ? Plut a Dieu
que l’on n’eut a réformer que les mauvais effets de la lecture des
romans ? Mais ordonner de n’avoir pas de sentimens a un être
toujours sensible, vouloir banir les passions sans souffrir meme qu’on
les rectifie, proposer la perfection a un siecle qui est tous les jours
pire, parmi tant de mechancetés se révolter contre les foiblesses ;
j’ai bien peur qu’une morale si haute ne d[ev]ienne spéculative, et
qu’en nous montrant de si loin ce que nous deverions être, on ne nous
laisse ce que nous sommes. ».
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Montesquieu conservait à Paris à la fin de sa vie une édition des
Mille et Une Nuits
de Galland (Bibliothèque virtuelle
Montesquieu , Inventaire après décès, nº 28) ; il connaissait sûrement aussi
Les Mille et Un Jours
de François Pétis de la Croix (5 volumes, 1700-1712), qu’il
mentionnera beaucoup plus tard dans les Pensées
(n o 2157).