1
Montesquieu dénonce les moines et les prêtres de manière constante et
acharnée : leur nombre, leur influence, leur pouvoir, leur paresse,
les richesses du clergé lui sont insupportables : voir Pensées, n os 1814,
214, 273, 1077 ; Spicilège, n os 251, 418, 446 ; Romains, XXII ; L’Esprit des lois,
XXIII, 29, XXXI, 9, etc.
2
« Il n’y a rien de si ridicule que d’engager, pour 50 écus, un homme
à un bréviaire et à une continence éternelle. » (Pensées, nº 181).
3
Allusion à la réponse que Jésus donna à ses disciples qui lui demandaient
s’il est préférable de ne pas se marier : « Tous ne sont pas
capables de cette résolution ; mais ceux à qui il a été donné d’
enhaut. Car il y a des eunuques qui sont nez
tels dès le ventre de leur mère : il y en a que les hommes ont
faits eunuques : & il y en a qui se sont rendus eunuques
eux-mêmes, pour gagner le roiaume des cieux. Qui
peut comprendre ceci, le comprenne. » (Matthieu, XIX, 11-12) « Les Persans ne sauroient comprendre qu’il
y ait des personnes qui volontairement, & par choix, vivent en
chasteté. Ils répondent hardiment à ce que nous leur contons qui
s’observe dans plusieurs pays Chrétiens sur ce sujet : qu’il y a là
quelque énigme dont nous leur cachons le sens, & qu’il ne se peut
faire que l’on se passe de femme, à moins de tomber dans les crimes
contre nature. » (Chardin, t. II, p. 259). L’abbé Gaultier rejette cette critique du
célibat : « Un homme qui auroit quelque respect pour la
Religion se donneroit bien de garde de décrier un état que Jésus-Christ
a embrassé, un état qui dans un corps mortel nous rend semblables aux
Anges » (p. 82
).
4
Proche du commentaire de I Corinthiens, VII, 35, de Charles Huré,
traduit par Lemaistre de Sacy : « Car encore que l’état du
mariage soit saint et honnête, celui du célibat l’est encore
davantage. » (Épîtres de saint Paul aux
Corinthiens, Bruxelles, 1709, t. II, p. 220).
5
Voir L’Esprit des lois , XXIII, 21, sur
l’établissement de lois qui n’avaient en vue que « la perfection
chrétienne », au détriment de la société, notamment de la
propagation de l’espèce.
6
Même adjectif dans les Pensées (n o 182) : les petits couvents
« entretiennent d’ailleurs le nombre prodigieux des moines
[…] ».
7
L’âge fixé depuis le concile de Trente est de seize ans accomplis
(Gaultier, p. 83
, relève l’erreur de Montesquieu). Le père de Montesquieu, cadet
de famille, aurait été envoyé jeune au séminaire, pour en sortir
bientôt, s’apercevant de son peu de vocation (la source en est Jules
Delpit, Le Fils de Montesquieu , Bordeaux,
Paul Chollet, 1888, p. 65 ; la question est discutée par C.
Volpilhac-Auger, Montesquieu, Paris, Gallimard,
Folio Biographie, 2017, p. 21). Son frère aîné, Jean Baptiste de
Secondat, devait mourir sans enfants : la lignée se serait éteinte
si le cadet ne l’avait assurée. Voir ci-après note 10.
8
Cette définition appliquée aux Esséniens par Pline l’Ancien (V, XV [XVII]) est citée par Bayle dans l’article
« Abéliens » du Dictionnaire historique
et critique (Remarque A, t. I, 1 re
partie, p. 32).
9
À l’argument de l’infécondité des prêtres, des moines et des religieuses
s’ajoute l’argument économique, souvent repris par la suite : ce
sont des parasites, des consommateurs qui ne produisent rien.
10
« On dit poëtiquement. La race future, les races
futures, les races à venir, pour dire, Tous les hommes à
venir. » (Académie , 1694, «
Race »). Montesquieu est issu d’une famille où les
religieux étaient particulièrement nombreux, ne serait-ce qu’en raison
du nombre élevé d’enfants à chaque génération, dans une famille dont le
patrimoine était modeste et, comme toujours sous l’Ancien Régime,
réservé en priorité à l’établissement du fils aîné : huit des neuf
frères et sœurs de son père, ses trois sœurs et son seul frère entrèrent
en religion. Lui-même devait soigneusement se garder de mettre au
couvent ses deux filles (peut-être faut-il y voir aussi l’influence de
sa femme, protestante), préférant conclure des mariages sans faste,
assortis de dots modestes (voir OC, t. 18,
p. 428-433 et François Cadilhon, « Famille de Montesquieu », Dictionnaire Montesquieu ).
11
L’Esprit des lois (XXIII, 21) s’étendra
sur la politique exemplaire (mais vouée à l’échec) des empereurs romains
pour enrayer la dénatalité, grâce aux lois « Juliennes » et
« Papiennes » : après les lois de César, celles d’Auguste
furent « plus pressantes : il imposa des peines nouvelles à
ceux qui n’étoient point mariés, & augmenta les récompenses de ceux
qui l’étoient & de ceux qui avoient des enfans. ».
12
Le mariage des prêtres était autorisé par saint Paul : « Il
faut donc que l’Evêque soit irrépréhensible ; qu’il n’ait épousé
qu’une femme […] » (I Timothée III, 2).
13
« Vice qui destruit la sobrieté, la chasteté, la moderation. L’ intemperance du vin & des femmes nuisent à
la santé. » (Furetière, 1690, art. « Intemperance »). Gaultier voit ici une allusion à
Luther, qui « quitta son cloître pour épouser une religieuse »
(p. 85
). Selon Bayle, « on ne peut nier généralement parlant que
les Livres de Luther ne contiennent plusieurs choses favorables aux
polygames » : il avait donné son aval au second mariage du
Landgrave de Hesse, qui prétendait refuser tout contact charnel avec sa
femme (rem. Q), et il avait reconnu dans ses sermons des cas où
l’adultère pouvait être permis sinon nécessaire car « un homme qui
se passe de femme ne s’élève pas moins au-dessus de la nature, que s’il
peut vivre sans rien manger » (Dictionnaire
historique et critique , article « Luther »,
Remarques Q et V, t. II, 1 re partie, p.
442 et 445).
14
Cet éloge du protestantisme, venant après la dénonciation de la
révocation de l’édit de Nantes (Lettres 57, 58,
et 83), pour des raisons purement
économiques et sociales, constitue aux yeux de l’abbé Gaultier une
véritable provocation (p. 86
).
15
Le rapprochement avec L’Esprit des lois
paraît s’imposer, mais il souligne plutôt la distance parcourue
par Montesquieu entre les deux œuvres, ou son refus
d’approfondir le sujet par la voix d’Usbek : au
livre XIII, il posera comme facteur principal du montant
des impôts la liberté politique. La réflexion politique et
économique relève ici de la sagesse des nations plutôt que de la
théorisation.
16
Voir Pensées , nº 296 : il faut
que les agriculteurs trouvent des acheteurs qui les engagent à produire
davantage, des artisans dont ils souhaiteront acquérir les productions.
17
Conformément au topos du religieux ignorant,
abondamment représenté dans la littérature : voir par exemple
Lesage, Gil Blas de Santillane, livre I
(1715), chap. I, p. 3
.
18
Sur la paresse des moines, voir L’Esprit des lois
, XXIII, 29 : « Henri VIII.
voulant reformer l’Eglise en Angleterre, détruisit les
Moines ; nation paresseuse elle-même, & qui entretenoit la
paresse des autres, parce que pratiquant l’hospitalité, une infinité de
gens oisifs, Gentilshommes & Bourgeois, passoient leur vie à courir
de Couvent en Couvent. Il ôta encore les hôpitaux où le bas peuple
trouvoit sa subsistance, comme les Gentilshommes trouvoient la leur dans
les Monasteres. Depuis ces changemens, l’esprit de commerce &
d’industrie s’établit en Angleterre. ».
19
Sur la situation en Espagne, voir Spicilège
, nº 446 (« Il est impossible que l’Espagne ne se
perde par les moines ») ; pour une critique plus générale, Pensées, n os 214 et
273 (plan de réforme du statut et des biens de l’Église, inaliénables
puisqu’ils sont « biens de main-morte »).