1
Ces dix lettres constituaient manifestement à l’origine une dissertation
académique (voir la variante 1 de la Lettre 114 et la variante 4 de la Lettre 117) ; mais elles
rejoignent une ligne de force des Lettres persanes
, la question de la corruption ou de la dégration : voir
Gianni Iotti, « Figures de l’entropie dans les Lettres persanes », dans Les
Lettres persanes en leur temps, Philip
Stewart dir., Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 123-135 ;
pour l’importance de cette notion dans l’œuvre de Montesquieu, voir
Céline Spector, « Corruption », Dictionnaire
Montesquieu .
2
Une des sources du mythe de la dépopulation se trouve dans les calculs
qu’Isaac Vossius a présentés dans son De antiquae
Romae et aliarum quarundam urbium magnitudine , dans Variarum observationum liber , Londres,
Robert Scott, 1685, dont Pierre Bayle fournit un compte rendu détaillé
dans les Nouvelles de la République des Lettres
en janvier 1685, jugeant excessives les estimations de Vossius
(art. XI, p. 95-106 ; Catalogue ,
nº 2568) ; voir Pensées , n
os 234 et 1747. David Hume montrera, dans
son essai « Of the populousness of ancient nations » de 1751,
que les calculs de Vossius étaient exagérés et les conclusions de
Montesquieu incertaines. Les calculs récents établissent une croissance
de la population française de 21,5 millions en 1690 à 23,8 millions en
1730 (Histoire de la population française
, Jacques Dupâquier dir., Paris, PUF, 1988, t. II,
p. 65) ; l’Europe passe dans le même temps de 120 à 174
millions d’habitants, avec un taux moyen annuel de croissance de
4% ; Montesquieu, comme la plupart de ses contemporains, n’en est
pas moins obsédé par l’idée que le monde s’épuise : voir L’Esprit des lois, XXIII, 18-21. Cependant, à
la date des Lettres persanes ,
l’appréciation est loin d’être erronée : la décennie 1710-1720
constitue pour la France une période de stagnation (Histoire de la population française, t. II,
p. 452).
3
Sur la désertification de l’Italie, voir Romains,
XVII, l. 56-90.
4
Chiffres fournis par Athénée (VI,
272d), dont le texte est reproduit par le « Recueil
Desmolets » du Spicilège , nº 116
(comme à la Lettre 106).
5
Même idée dans les Pensées (n o
177), mais alors Montesquieu n’envisage guère que l’aspect
politique.
6
Sur la prospérité ancienne de la Grèce, voir L’Esprit des lois, XXI, 7 (« Il faut que je parle de
cet empire de la Mer qu’eut Athenes. »).
7
Voir Lettre 75.
8
Sur les changements arrivés dans les pays du nord, voir Pensées, nº 806.
9
Selon l’ Académie (1718), la forme
« essain » est vieillie.
10
Voir Romains, XVI (variantes aux lignes 169-170,
correspondant à une addition de 1748). La richesse en hommes des pays du
Nord était un topos depuis l’époque des
grandes migrations : voir notamment Jornandès, cité dans L’Esprit des lois , XVII, 5 (« Le Goth
Jornandez
a appellé le Nord de l’Europe la fabrique
du genre-humain »).
11
La Pologne n’est mentionnée ailleurs dans les Lettres persanes qu’à la Lettre 130. Sur la place de ce pays dans la pensée de
Montesquieu, voir Jean Ehrard, « Montesquieu et la Pologne » (
Le Siècle de Rousseau et sa postérité,
Izabella Zatorska et Andrzej Siemek dir., Varsovie, Uniwersytet
Warszawski, Instytut Romanistyki, 1998, p. 35-46) et Nadezda
Plavinskaia, « Pologne », Dictionnaire
Montesquieu . Quant à la « Turquie en Europe »,
comme il est question plus haut de la Grèce, il s’agit du nord des
Balkans (Albanie, Roumanie, Bulgarie) que la Turquie conserve après les
traités de Karlowitz (1699) et Passarowitz (1718), ainsi que le sud de
l’Ukraine.
12
Leitmotiv de tous les dénonciateurs de la colonisation espagnole et
portugaise, d’après l’ouvrage de Las Casas, Relación de las Indias (1542). Dans L’Esprit des lois, Montesquieu insistera sur la fertilité du
pays, qui « fait qu’il y a tant de Nations Sauvages en
Amérique » (XVIII, 9).
13
Les relations de voyageurs (Lucas, Chardin) sont scandées par leur
description de grandes villes désertées et ruinées, en Perse comme en
Turquie (voir Lettre 18).
Chardin est plus précis : « Mais il n’y a pas assez de peuple
par tout pour en chercher [de l’eau] & pour en puiser suffisamment,
ainsi le manque de peuple de la Perse ne vient pas précisément de sa
stérilité, mais c’est le manque de peuple qui fait qu’elle est
stérile ; de la même manière que la plûpart des Païs de l’Empire
Ottoman, qui quoi qu’ils soient d’eux-mêmes,
& par leur nature, les meilleurs & les plus beaux païs de la
terre, vous les voyez néanmoins secs comme des landes, faute de
peuple » (t. IV, p. 11). La décadence de la Perse après la conquête musulmane,
notamment en raison de la disparition du système d’irrigation, est un
topos qui réapparaîtra dans L’Esprit des lois , XVIII, 7 (voir Pierre
Briant, « Montesquieu et ses sources : Alexandre, l’empire
perse, les Guèbres et l’irrigation (De l’esprit
des lois X. 13-14 ; XVIII.7) », Oxford, Voltaire
Foundation, SVEC , 2007:06,
p. 243-262).
14
Voir Lettre 27, note 2.
15
Chardin, qui évoque au tome I
les régions de Guriel, d’Imirette et de Circassie (p. 250, 254 et
118) comme des pays peu civilisés, ne dit rien du nombre de leurs
habitants.
16
Voir Pensées, nº 243 (« l’Egipte le
plus beau royaume de l’univers par sa situation sa fertilite le nombre
des habitans »), et Spicilège , n os 79 et 125 (toujours le « Recueil
Desmolets »).
17
À propos de l’Afrique, L’Esprit des lois
(XXI, 10) dira néanmoins que l’intérieur en était bien connu dans
l’Antiquité, et les côtes presque ignorées, alors qu’à l’époque moderne,
c’est l’inverse. Cf. Lettre 114
.
18
Voir Lettre 42.
19
Vision pessimiste de l’histoire ? Alors que le temps des empires
orientaux est immobile ou cyclique, et que le sérail s’effondrera
brutalement, mais après maint avertissement, cette décadence sournoise
paraît inscrite au cœur de l’espèce humaine et la condamner fatalement.
On retrouvera une partie de cette analyse et même son vocabulaire
médical (« langueur », « vice intérieur »,
« maladie insensible », « mal presque incurable »)
dans L’Esprit des lois (XXIII, 28), où s’y
ajoute l’influence d’un « mauvais gouvernement ». Mais, dans
les lettres suivantes, en recherchant les facteurs de dépopulation et en
montrant qu’ils sont essentiellement d’origine humaine, donc
susceptibles de correction, Usbek s’oppose en fait à cette vue
fataliste. De même, Montesquieu examinera les raisons politiques,
techniques, sociologiques de la décadence des Romains, pour dépasser en
les englobant les explications purement psychologiques que proposaient
les historiens contemporains.
20
Comme dans la lettre suivante, où elle est employée deux fois,
l’expression est synonyme de « genre humain » ; voir Lettre 59, note 6.