1
D’après Chardin, Mirza est un titre qui
signifie « Fils de Prince », « afin de distinguer les
personnes Royales d’avec le reste du monde » (t. IV,
p. 123). Ce personnage, qui n’enverra pas d’autre lettre,
en recevra quatre d’Usbek, dont une consacrée à la tolérance (Lettre 83).
2
S’agit-il de discussions comme il s’en pratiquait à l’académie de
Bordeaux ? Celle-ci s’intéressait surtout aux sciences, mais
n’excluait pas les questions philosophiques et morales, comme le prouve
la lecture du Traité des devoirs en 1725 (OC, t. 8, p. 429-439).
3
Cette formulation pourrait laisser entendre qu’il s’agit d’opposer
rigorisme et hédonisme, épicurisme et stoïcisme. La réponse ne serait
pas donnée d’avance, car depuis Gassendi et Fénelon, Épicure est loin
d’être considéré comme un jouisseur (voir Jean Ehrard, L’Idée de nature en France dans la première moitié du
xviii
e siècle , Paris, Albin
Michel, 1994 [1963], p. 548), et l’on verra bientôt (Lettre 31, note 6), que
le stoïcisme n’a pas toujours la faveur de Montesquieu. Et surtout, même
les théologiens reconnaissent que la recherche du plaisir peut être
innocente (voir encore J. Ehrard, à propos de Malebranche, dont on sait
l’influence sur Montesquieu), ce qui contredit le moralisme augustinien
selon lequel la souffrance est le seul moyen pour le pécheur d’accéder
au bonheur. Mais, comme les Lettres 11à 14 le confirmeront, la question est moins
théologique que morale : on recherche le bonheur des hommes, non
les plans de Dieu. L’apologue des Troglodytes montrera que vertu et
plaisirs ne sont pas radicalement incompatibles, sauf quand la
« satisfaction des sens » est confondue avec un intérêt
égoïste et immédiat.
4
Analogie avec l’ Essai touchant les lois naturelles et
la distinction du juste et de l’injuste, dont l’attribution à
Montesquieu n’est plus soutenue (voir OC,
t. 9, p. 595-607) ? L’idée est banale ;
peut-être vaut-il mieux chercher du côté de Cicéron (« nos ad iustitiam esse natos, neque
opinione sed natura constitutum esse ius », « nous
sommes nés pour la justice, et le droit est fondé, non pas sur
l’opinion, mais sur la nature »,
De legibus
, I, 10), que Montesquieu connaissait bien. On peut aussi penser à
Shaftesbury, An Inquiry concerning Virtue, or Merit
(1699, tome II des Characteristicks,
Catalogue , nº 696) : la thèse essentielle, que le xviii
e siècle répétera à l’envi, en est que bonheur
et vertu sont inséparables, ce qui réduit considérablement l’importance
du péché originel. Voir Robert Mauzi, L’Idée du
bonheur au xviii
e siècle , Paris, Albin
Michel, 1994, p. 580-634.
5
Graphie sans doute due à la confusion du h et du
k ; on trouve aussi Mollag (Marana), Moulla (Jean
Thévenot,
Relation d’un voyage fait au Levant
, Paris, Thomas Joly, 1664), Mollah et Moullah (Tavernier), ou encore Molla : « On appelle ainsi les Prêtres & Docteurs Mahometans
» (Chardin, t. VIII, p. 11) « Les Prêtres, ou Ministres de la Religion
, s’appellent communément Molla, qui
signifie affermir, & aussi conduire, diriger, & décider » (Chardin, t. X, p.
79
) ; ailleurs il glose le mot comme docteur (de la loi)
(t. III, p. 241 ; t. VII, p. 112).
6
D’Herbelot emploie cette graphie tout en reconnaissant que la première
syllabe n’est qu’un article (« Alcoran »). C’est la plus
généralement répandue au xviii
e siècle (Voltaire, dans l’ Essai sur les mœurs, 1756, chap. vii, parlera de « notre vicieux usage » qui confond
l’article et le nom).
7
Expression caractéristique des musulmans pour se qualifier eux-mêmes,
notamment dans leurs prières.
8
Les auteurs stoïciens distinguent trois types de devoirs : envers
Dieu, envers soi-même, envers les hommes. La succession, parmi ces
derniers, des devoirs de père, de citoyen, d’homme, peut avoir été
empruntée au
De officiis
de Cicéron, où sont classés les différents types de société selon
leur étendue : humanité, patrie, famille (I, XVII, 53). Montesquieu
y reviendra dans le Traité des devoirs
(1725). Dans les Pensées , il ordonne les
trois types de devoirs (« Si je scavois une chose utille a ma
nation qui fut ruineuse a une autre je ne la proposerois pas a mon
prince parce que je suis un home avant d’estre francois ou bien parce
que je suis necessairement home et que je ne suis francois que par
hazart », nº 350 ; vers 1732), en une formule qu’il
développera ultérieurement (n o 741).
L’argument vaut aussi contre Hobbes : voir ibid.
, nº 1266 (pensées « qui n’ont pu entrer dans le Traité
des devoirs ») : « S’ils etablissent les societés c’est
par un principe de justice[.] ils l’avoient donc. ».