1
Les seuls concours qu’ait historiquement connus Gnide sont les jeux doriens en l’honneur d’Apollon, et ne concernent évidemment que des hommes ; l’idée d’un concours de beauté ne peut relever que de la fiction, par un
rappel implicite du prix de beauté arbitré par Pâris en faveur de Vénus. Dans l’épopée les jeux gymniques permettent comme ici l’éloge du corps, et le catalogue des vaisseaux de l’Iliade (II,
v. 484-780) sert de modèle : la structure narrative est la même, qui conjoint un nombre et une évocation rapide de chaque contingent ; mais le défilé des femmes, loin de se résumer à une exhibition (elle
n’est pas soumise à un regard masculin, comme dans la « fameuse querelle » entre les femmes d’Usbek : LP, Lettre 3
), vise à renforcer l’impression de diversité : chaque peuple se distingue moins cependant par des traits physiques que par ses mœurs ; on ne saurait donc parler proprement de description, comme c’est
généralement le cas chez Montesquieu (voir C. Volpilhac-Auger, « J’ai vu », dans Les « Lettres persanes » en leur temps, Philip Stewart dir., Paris, Classiques Garnier, 2013,
p. 43-67, repris dans Montesquieu : une histoire de temps, Lyon, ENS Éditions, 2017). Sur la fonction de cet épisode, voir Introduction.
2
Le temps épique de la guerre de Troie devient un temps humain, celui de l’attente amoureuse, en vertu d’un processus de transformation dont on trouve maint exemple (voir Introduction).
3
Hélène, enlevée par Thésée, puis mariée à Ménélas, puis enlevée par Pâris, apparaît non comme la victime de Vénus (Iliade, III, v. 414-420) ou des hommes qui s’emparent d’elle, mais comme la
toute-puissante incarnation de la beauté destinée à faire le bonheur des hommes. Le pouvoir des femmes et de leur beauté sur les hommes est une composante majeure de l’anthropologie de Montesquieu : l’« empire
naturel […] de la beauté, à qui rien ne resiste » (LP, Lettre 36 ) assure aux femmes un pouvoir que les hommes doivent
contenir (voir EL, XVI, 2).
4
Développement de l’épithète homérique, « à la belle chevelure » ou « aux belles boucles », qualifiant notamment l’Aurore et Calypso. L’énoncé omet l’essentiel, qui relève de l’implicite : les
Corinthiennes sont réputées dans toute l’Antiquité pratiquer la prostitution sacrée.
5
L’homosexualité des femmes de Lesbos est tout aussi innocente que les autres formes d’amour ; elle est de nouveau évoquée au chant IV, mais pour être condamnée.
6
La beauté parfaite plaît donc moins que les grâces.
7
Chypre étant vouée à Vénus, ses femmes s’y livrent à un culte qui tient de la « profanation » (ch. I) ; mais l’éloge de la modestie qui suivait cette évocation ne
fait pas rejeter ici des manières « libres », voire « hardies », qui permettent aux femmes de prendre l’initiative. La perspective étant celle d’une comparaison des mœurs, celles de Chypre ne doivent
pas choquer : « Didon abordée en Chipre le grand pretre de l’isle se joignit a elle a condition qu’il auroit la meme dignité et come ils manquoint de femmes ils prirent de ces filles qui se prostituoint sur le
rivage en l’honeur de Venus ce qui ne devoi[t] point les choquer puis que les femmes de leur pais se prostituoint en l’honeur de la deesse syriene » (Pensées, nº 497).
8
À Sparte les jeunes filles portent une robe courte et fendue, voire se montrent nues dans les mêmes palestres que les garçons, pour s’entraîner à la course ou à la lutte, afin de se préparer à la guerre : en cela
elles œuvrent pour leur patrie. Mais les auteurs athéniens les représentent souvent comme entreprenantes et sans vertu (par exemple Euripide, Andromaque, v. 596-600).
9
À l’instar de Rotrou (Agésilan de Colchos), de Racine (Mithridate, I, 1) et de plusieurs autres auteurs (voir Jugements sur quelques ouvrages nouveaux, 1745, X, p. 259 ), Montesquieu fait de Colchos (qui n’a jamais existé) la capitale du royaume caucasien de Colchide, à l’est de la mer Noire.
Après diverses régions de la Grèce, les pays évoqués sont de plus en plus lointains.
10
Nom emprunté à Amadis de Gaule (Catalogue, nº 2224 ) : le héros est amoureux d’Oriane, fille du roi de
Bretagne. Sans rapport avec l’Antiquité, ce nom renvoie à un imaginaire romanesque dominé par l’amour, vainqueur de tous les obstacles.
11
Ces jeunes filles apparaîtraient comme d’innocentes vierges si l’on ne savait que les filles lydiennes ont coutume de se prostituer (Pensées, nº 495) ; le rapprochement
avec les Babyloniennes, évoquées ensuite, va dans le même sens (voir ch. I note « Sont mêlés ici… »).
12
Écho de Phèdre I, 1 (« Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent ! ») mais renouvelé : vain signifie qu’Oriane n’a besoin d’aucun embellissement pour être
aimée.
13
À l’inverse de Vulcain, qui ne veut pas que « la toile vole » (ch. I), et de la plupart des hommes, surtout en pays oriental, « Candaule n’avoit point cette
jalousie qui fait que l’on creint touts les temoins de son bonheur, ennivré des charmes de la reine il crut qu’il en jouiroit moins si un autre ne les envioit pas » (Pensées, nº 493) ; Montesquieu insiste sur l’origine grecque de Candaule et cite sa source pour tout ce passage : Hérodote, I, 7 (Pensées, nº 494). On est très loin de l’interprétation gaillarde que La Fontaine avait donnée de cette histoire (Le roi Candaule et le maître en droit).
14
Voir ci-dessus ch. I note « Sont mêlés ici plusieurs témoignages… ».
15
« En l’honeur d’Isis, les femmes egiptienes eurent toutte l’authorité les familles les emplois publics les affaires du dehors le mari les details domestiques » (Pensées, nº 485) ; l’idée était esquissée dans les Lettres persanes ( Lettre 36 ). La justification religieuse que produit
Montesquieu n’apparaît guère justifiée par les sources antiques.
16
Jusqu’à Alexandre, Tyr est la principale place commerciale en Occident : « Tyr, Venise & les villes de Hollande […] tirerent leur subsistance de tout l’univers »
(EL, XX, 5).
17
L’Aurore est réputée avoir eu de nombreux amants, tous mortels ; on lui connaît surtout des fils. Est ici désigné un Orient qui selon la fable se situerait aux extrémités de la terre habitée, entre hommes et
dieux.
18
L’expression de 1725 est moquée par la Lettre critique (p. 13) ; Montesquieu en a tenu compte en 1742.
19
Le chagrin de leur impuissance, thème qui, bien au-delà des Lettres persanes, parcourt toute l’œuvre de Montesquieu (Histoire véritable, OC, t. 9, p. 159 ;
EL, XV, 18).
20
Vers les colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar), qui dans l’Antiquité marquaient symboliquement la frontière occidentale du monde connu : le couchant répond à l’Orient.
21
Dans l’histoire de Psyché (voir ch. I), Zéphyr enlève doucement la jeune fille pour la transporter auprès de l’Amour.
22
Expression déjà employée deux fois (ch. I et ch. III), à propos de Candaule mais aussi de Pâris (voir note suivante) : elle exprime ici
autant le trouble érotique que l’impossibilité de choisir.
23
Thétis parle tendrement à son fils Achille dans l’Iliade (XVIII). L’énumération des qualités divines, réparties de manière indifférenciée, redouble le caractère principal du tableau, la diversité, tout en
renforçant axiologiquement chaque forme de beauté : le concours ou jeu devient un nouveau jugement de Pâris, mais infiniment plus complexe.
24
La leçon de 1725 était manifestement une erreur.
25
À l’égard des femmes, les Espagnols « ne veulent pas qu’on leur voye le talon, & qu’on les surprenne par le bout des pieds » (LP, Lettre 75 ).
26
La pudeur féminine est nécessaire dans toute société, comme l’exprimera L’Esprit des lois : « Toutes les Nations se sont également accordées à attacher du mépris à l’incontinence des femmes : c’est
que la nature a parlé à toutes les Nations » (XVI, 12) ; mais il ne faut pas la confondre avec le respect de bienséances qui détermineraient une morale, et de là une jalousie universelles : morale et
jalousie sont aussi diverses que les formes de beauté, et autorisent donc autant de nuances d’une séduction faite de suggestions, selon des règles propres à chacune nation.